Estelle H. est tombée dedans dès l'âge de 10 ans (au temps, dit-elle "où les ondes ont été libérées" : Estelle est à présent dans sa 34ème année). Déjà elle voulait qu'on l'entende, elle voulait donner de la voix. En même temps : "J'avais beau être passionnée, je n'aurais jamais cru pouvoir vivre de ma voix".
Maintenant c'est fait, elle vit de sa voix, et c'est une chance : "Dans nos métiers, beaucoup doivent avoir plusieurs jobs pour s'en sortir... Moi, je ne vis que de cela". Et l'on entend bien qu'elle en retire un revenu suffisant, et surtout la joie d'avoir réalisé son rêve d'enfant.
Estelle n'a pas suivi de formation pour devenir une voix-off ; son métier, elle l'a appris jour après jour, en autodidacte, sur le terrain...
Justement, Estelle, le terrain, c'est quoi ? "Le terrain, c'est actuellement une quarantaine de productions par jour !" 40 ! dîtes-vous, comme dans les aventures d'Ali Baba ?! Elle précise : "Des productions qui vont d'un seul mot à un texte d'une heure... des pubs pour la radio (30''), la télé (15''), des attentes téléphoniques..."
Elle s'entraîne tous les jours, les clients la pressent, ils arrivent de partout (elle est trilingue, mais n'enregistre qu'en français) : Nouvelle-Calédonie, Pays-Bas, Allemagne, Angleterre, Italie, Suède. Ils l'ont connue grâce aux démos qu'elle a envoyées ou par des concurrents eux-mêmes surbookés et bien disposés à son égard. Les clients l'appellent en direct, ou bien elle travaille pour des studios de production qui servent eux-mêmes des grandes entreprises...
Et elle en redemande : "Je me considère avant tout comme un chef d'entreprise : c'est pourquoi les clients me font confiance. Je ne lâche jamais un client tant qu'il n'est pas parfaitement satisfait de ma production". Il lui arrive même de travailler gratuitement, pour de de minuscules productions (ce n'est pas toujours facile de facturer l'enregistrement d'un seul mot), pour le plaisir, et parce qu'elle est avisée : "Le client reviendra, et cette fois-ci, ce sera avec une production plus importante."
Le e-learning dans tout ça ?
Le e-learning, dit-elle, c'est moins bien payé que le reste, et c'est souvent long, répétitif...
(professionnels du e-learning, nous serions sages d'écouter la discrète plainte d'Estelle, qui pourrait bien être la plainte des apprenants !)
Et sa voix touche évidemment moins de monde qu'avec une pub télé.
En même temps, ce qu'il y a de bien, c'est qu'on lui demande parfois de prêter sa voix à un personnage ; alors, elle a un peu l'impression de faire du théâtre - ça tombe bien, elle en la fibre. Et puis, avec le e-learning, on peut suivre ce personnage très longtemps, jusqu'à un an parfois.
A quoi ressemble un brief client ? A quelque chose de très sommaire : quelques mots clés, une indication sur le personnage à jouer, son humeur, son rôle dans l'entreprise, par exemple : "Je viens de jouer le rôle d'une directrice commerciale qui a raté une vente importante."
Munie du brief, cette jeune mère de 3 enfants, cht'i d'adoption (qui refuserait de quitter le Nord, on en connaît d'autres) s'enferme dans son propre studio / cabine d'enregistrement - triple vitrage, mousse isophonique, aux normes acoustiques exigeantes, aucun son ne pénètre à l'intérieur, sauf le son de sa voix dont les scories sont gommées avec un micro et une carte son de dernière génération. Il faut imaginer Estelle dans cette sorte de caisson d'isolation sensorielle planté au milieu d'une grande pièce de vie (50 m2) du domicile familial.
L'investissement, qui avoisine les 20.000 €, est rentable (elle précisera plus tard qu'on peut commencer avec 2.000 €) : la qualité de ses productions est irréprochable. Du coup, contrairement à beaucoup de voix-off, elle n'a pas besoin de se déplacer à Paris, véritable plaque-tournante du métier, pour enregistrer dans un studio professionnel : mis à part la fonction de doublage, son studio dispose de tous les équipements dont elle a besoin.
Estelle H gagne bien sa vie : "Je ne paye pas l'impôt sur les grandes fortunes, comme les plus grandes voix (elle en cite quelques-unes... off the record), mais je me débrouille avec des factures dont le montant varie de 5 à 2000 € et des frais réduits ; je suis une indépendante, et je veux le rester."
Elle se voit faire ce métier encore très longtemps, les voix bien entretenues vieillissent bien. Elle ne semble pas craindre grand chose, à part de tomber aphone parce qu'elle aurait trop forcé - ce qui ne lui est arrivé qu'une seule fois, et la cure de cortisone prescrite par le médecin chez qui elle s'était précipitée y a remédié sans délai.
Nous allions oublier... Estelle Hubert a vraiment une très belle voix !