eLearning-infos : Quel bilan tirez-vous du eLearning tel que les entreprises le pratiquent ?
Thierry Nabeth : Les différentes formes prises par le eLearning n’ont pas eu l’effet « révolutionnaire » initialement prédit. Même s’il reste souvent très utile dans la formation des salariés.
La faute en incombe à un ré engineering des modalités de formation insuffisant ; dans sa pratique, le eLearning a été trop souvent calqué sur les approches pédagogiques traditionnelles, avec l’idée de délivrer des connaissances théoriques à un groupe d’apprenants somme toute assez passifs. Il y beaucoup à faire pour aller vers un apprentissage plus continu tout au long de la vie et juste à temps. Quant à la réutilisabilité des composants, elle a fait long feu ! Les gains sont bien moindres qu’espérés. Bref : si l’impact d’une innovation se repère à la façon dont elle transforme les usages, nous sommes encore loin du compte.
Le eLearning est-il pour autant sans intérêt ? Bien sûr que non ! Ceci dit, je crois qu’une partie des promesses seront tenues grâce à l’évolution qui se dessine sous la dénomination de « Learning 2.0 ».
eLI : Quelles nouvelles pratiques de formation avez-vous repérées ?
TB : Quand on parle de nouvelles pratiques, de quoi parle-t-on ? D’abord des nouveaux usages du Web 2.0 apparus avec les blogs, les wikis, les réseaux sociaux ou le micro-blogging illustré par Twitter. Ces usages qui touchent progressivement au secteur de la formation, sont fondés sur des concepts tels que le support des processus sociaux, la transparence, la diffusion de savoir en continu qui vient rompre avec la notion d’action de formation ponctuelle, la participation active des apprenants… Concepts qui sont à leur tour progressivement implémentés sur des plateformes eLearning plus traditionnelles, en particulier avec le support des communautés de partage, les vidéos ou la possibilité de tagger les contenus.
Par ailleurs, la création de communautés virtuelles de type Ning, en accompagnement de formations traditionnelles, ou l’utilisation de Twitter ou des podcasts, sont relativement légères à mettre en oeuvre. L’imagination des technologues est sans borne, avec le développement attendu des eBook ou l’usage des « smartphones » comme terminaux pour se former… Je reste cependant sceptique quant à l’intérêt d’utiliser un mobile juste pour diffuser de la vidéo.
eLI : Quelles sont les pratiques les plus prometteuses ?
TB : Je compte justement beaucoup sur l’avénement d’approches légères telles que l’usage des réseaux sociaux, des podcasts ou du micro blogging, qui rendront l’apprenant plus autonome, et lui permettront de se former en continu tout au long de la vie.
Il ne s’agit pas pour autant d'abandonner l’apprenant à son sort. Au contraire, il faut l’accompagner, plus que jamais, le guider dans l’usage de ces nouvelles pratiques. Là réside sans doute un des défis les plus importants pour l’avenir, qui pourrait permettre aux départements formation de jouer un nouveau rôle.
eLI : Le « Learning 2.0 » a-t-il déjà débouché sur des expérimentations en entreprise ?
Oui… même si nous n'en sommes qu’au début. Comme je l’ai signalé, les plateformes elearning ont commencé d’incorporer ces approches avec la mise en œuvre de forums, par exemple, ou la diffusion de vidéos provenant de sites tels que YouTube.
A l’INSEAD, nous avons lancé l’expérimentation d’une plateforme Learning 2.0, « InnoTube », avec des grandes entreprises comme FIAT ou Alcatel, pour supporter l’acquisition de compétences d’innovation. Les premiers résultats sont encourageants !
Plus généralement, on peut consulter l’étude (NDLR : en anglais) que Roland Deiser de l’ECLF (l’European Corporate Learning Forum) a menée sur l’utilisation des infrastructures sociales au service de l’apprentissage, auprès des Chief Learning Officers des 200 plus grandes entreprises européennes. Le chercheur y constate que ces infrastructures commencent à être utilisées, et mieux encore que ces approches apparaissent de plus en plus comme comme un facteur clé de performance de l’entreprise.
Les départements formation ne pourront vraisemblablement pas faire l’impasse là-dessus, sauf à se retrouver marginalisés.
eLI : Comment voyez-vous 2010 ?
TB : La prédiction est un art difficile ! On parle du Learning 2.0 depuis déjà deux ans… les choses prennent toujours plus de temps qu’on pourrait le souhaiter. Je pense que nous allons assister à une diminution de ce que j’appelerais la partie « off-line » des actions d’apprentissage sans pour autant que la qualité d’ensemble soit réduite, grâce en particulier aux nouveaux outils.
Nous allons vers une adoption plus large des réseaux sociaux, du micro blogging et des podcasts au service de l’apprentissage, et en accompagnement des actions de formation plus formelles.
Il faudra sans doute patienter un peu pour voir apparaître une approche plus globale de l’apprentissage qui combinerait harmonieusement l’ensemble de ces approches. Mais on n’y échappera pas à moyen terme !
Propos recueillis par Michel Diaz